Bonjour la rue, chaque jour commençait de manière prévisible, que ce soit pendant les vacances ou non, mais la fin était toujours incertaine. Pour ceux qui connaissent bien Port-au-Prince, je ne prétends pas faire une radiographie exhaustive des rues, mais je saisis l’espace et le temps, ainsi que tout ce qu’ils contiennent comme substance.
Les noms, les ZEN, les FAWOUCH et les marchands de friture avec leurs goûts et leur cuisine, tous ont gravé leur adresse dans notre mémoire. Aujourd’hui, en croisant l’un des vieux amis de notre enfance, la même question revient : où est passé PRESYAN ? Kote PRESYAN?.
Son nom était précieux pour la zone, et nos jours se déroulaient à admirer le Petit David, que nous appelions PWATON. Il se prenait pour Ronaldo et jouait au football avec un talent que malheureusement Haïti n’a pas su valoriser. Dans chaque zone, nous continuons à compter ces talents perdus. Nous rions quand Josué, le seul PISANNIT que la zone comptait, n’arrive pas à se souvenir de PRESYAN, la maman d’INISE et la femme de Bosse Innocent. À présent, nous cherchons son adresse, le seul souvenir que nous avons d’elle étant ses plats délicieux : MARINAD AK SOS CHOU, PWASON. Elle a quitté Port-au-Prince pour s’installer à Port-MAGOT. Elle seule servait de référence : Fritay 205 lan.
Non loin de tout cela, certains noms nous viennent à l’esprit, non pas pour leur goût, mais pour la survie de dernière heure : ZET. Si l’on faisait un peu d’archéologie, elle pourrait servir comme artefact pour situer la première invasion des DOUKOMAN d’Haïti, réputée pour ses fritures TI PATE AK SOS PYE POUL. Malheur à celui qui mangeait un plat à 25 gourdes, il était plein pour deux jours.
L’heure des chiffres solitaires, MELANI ne se contentait pas seulement de vendre la friture, mais était également là pour deux autres choses, que je ne sais pas si le mot BAKCHAT était à la mode à cette époque, mais c’était sa préférence.
Nous portions le prénom de nos parents comme un tatouage. On aurait dit qu’une fois nés, nous étions présentés de porte en porte dans la zone : ANDY TI GASON TIMICHEL LAN, James TI GASON JANNAYEL LAN, FARA TI PA MOD LAN. Ainsi, la zone enregistrait nos noms.
Nous ne pouvions aller loin, mais nous étions toujours très loin à ne nous inquiéter de rien parce que les voitures savaient ralentir pour les piétons et nous étions protégés de notre quartier jusqu’aux rues qui menaient aux bibliothèques.
Nous avons fait de belles rencontres à Signet, qui était le portail de vie nous permettant de questionner notre existence en tant qu’êtres. Non pas parce qu’ARAKA est situé en face de la grande cimetière, mais parce que c’est un lieu de débat, d’apprentissage et de questionnement sur l’existentialisme, pour répéter SARTE. Le livre était la seule arme en main que nous échangions.
La question après les cours était : “Tu seras où, moi à Christ Roi ou à la bibliothèque de PYEPOUDRE ?” Nous marchions vraiment, car nos pieds étaient POUDRE de FOKAL à la bibliothèque Soleil de Carrefour-Feuilles, de L’Hérisson à Carrefour pour nous rendre à Petit-Goâve à la bibliothèque de DANY LAFERRIÈRE
Nous avions une jeunesse remplie de belles choses.
Nous partagions le temps entre amis, à bavarder et à parler de littérature du lundi au lundi. Le dimanche, nous guérissions notre âme par le théâtre. Chacun de nous portait le goût d’un poète dans la bouche et se sentait être ce poète, parce que nous ne terminions jamais une phrase sans ne pas le citer . Je ne dirai pas quel poète j’aimais, mais à chaque fois que je voyais passer MA MAR, je disais tout simplement : « FANM LAN BEL KON PONYEN FLE NAN POSESYON FET DYE. » Cave prenait place comme tant d’autres qui parlaient de Villard Denis, dit Davertige : « Omabarigore, la ville que j’ai créée pour toi. »
Ce n’était pas l’âge des boissons aux noms exotiques, mais à chaque mot, le TRANPE ASOSI, avait un goût de poule. La petite coupe en plastique ‘’TI KEP’’ se promenait de bouche en bouche, comme les mots le faisaient avec esence. Nous partagions des quotidiens en Prince et Dieu, et nous voilà aujourd’hui, prisonniers de villes qui ne connaissent pas les joyaux de notre enfance. Nous continuons à tuer notre enfance dans les usines des grandes villes, tout en nous rappelant nos camaraderies et nos études universitaires, qui ne nous servent qu’en souvenir.
Mais malgré tout, nous continuons à porter les quartiers de notre enfance en nous, comme nous vivons avec des noms en lettres détachées.
Je me rappelle bien de ce poème d’Anthony Phelps : « Quelle nouvelle de fleurs séchées, les pollens que la brise éparpille. » Et maintenant, à cet âge, je comprends que chacun de mes amis, mes amours perdus, mes voisins, mes collègues, les personnes avec qui j’ai grandi, étaient un grain de pollen.
James Saint-Sumé
Une réponse
C’est très beau retour à des souvenirs passé. Le retour au temps où les bon voisinage, l’esprit d’entraide, la franche camaraderie n’était pas perdu encore…